Innovation in Nutrition

Avant-propos

À plusieurs égards, la nutrition est demeurée un terrain inexploré dans la recherche d’une santé optimale. Abstraction faite de quelques visionnaires, ce n’est que tout récemment que l’intérêt s’est porté sur le rôle de la nutrition dans la performance sportive, le vieillissement en santé, les maladies dégénératives et plus important encore, dans la préservation de la santé le plus longtemps possible. Afin de mieux comprendre, de parfaire et d’améliorer le rôle positif de la nutrition dans une santé optimale, il sera essentiel d’innover dans ce domaine.

L’innovation se fait déjà attendre dans certains secteurs de la nutrition. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il serait bon d’avoir un bref aperçu de l’historique de la nutrition afin de mieux cerner l’état de la situation aujourd’hui.

Les micronutriments et macronutriments essentiels

Composés tirés du régime alimentaire ou des suppléments nutritionnels, les nutriments essentiels assurent notre subsistance. Ils sont essentiels, car l’organisme ne peut pas les fabriquer. On les classe en deux grandes catégories : 1) macronutriments essentiels et 2) micronutriments essentiels.

Les macronutriments sont des nutriments dont nous avons besoin en grande quantité (généralement plus d’un gramme). Ce sont les lipides, protéines et glucides, c’est-à-dire les matières premières nécessaires aux cellules qui 1) les utilisent pour former les structures constitutives de l’organisme et 2) les consument pour produire de l’énergie.

Les micronutriments essentiels sont les minéraux et vitamines qu’il faut à l’organisme, mais en plus petite quantité (généralement moins d’un gramme). Certains minéraux requis en bonne quantité, comme le calcium, pourraient se classer parmi les macronutriments. Comme il est impossible de consumer le calcium et d’autres minéraux pour en tirer de l’énergie, la plupart des nutritionnistes les regroupent cependant dans la catégorie des micronutriments. En résumé, les minéraux essentiels sont des substances inorganiques et les vitamines essentielles sont des composés organiques dont l’organisme a besoin comme soutien à la vie.

On sait depuis fort longtemps que l’être humain doit consommer des aliments (les macronutriments) pour assurer sa survie. Dès son origine, la médecine a compris l’importance des minéraux dans la composition des os, sans toutefois arriver à cerner le rôle essentiel des vitamines. Une évaluation rétrospective avec les moyens du 21e siècle ravivera l’intérêt porté à la découverte des vitamines essentielles. De ce point de vue historique, ce sont surtout les vitamines qui retiennent notre attention.

La découverte des vitamines essentielles

C’est aux premiers explorateurs marins que nous sommes redevables de la découverte des vitamines, même s’ils n’en étaient pas conscients à l’époque. Pendant leurs longues expéditions, ils consommaient presque exclusivement des aliments déshydratés et du poisson, mangeant peu ou pas de fruits et légumes. Avec ce régime alimentaire, les marins risquaient de souffrir de carence en vitamine C et de scorbut. Les symptômes graves du scorbut (faiblesse générale, perte de dents, caillots sanguins, contusions multiples, etc.) apparaissaient entre 10 à 12 semaines après le départ du navire. C’était le premier trouble lié à une carence nutritionnelle qui ait jamais été observé et documenté. En revanche, on constatait qu’aussitôt à terre, les marins qui consommaient des « fruits acides » voyaient leurs symptômes disparaître en l’espace d’une à deux semaines à peine. La marine britannique fut la première à réagir et à intégrer les jus d’agrumes (surtout de citron et de lime) aux rations quotidiennes de ses équipages – traitant ainsi la maladie chez les marins sans toutefois la guérir. Ce n’est qu’au début des années 1930 qu’on allait connaître le facteur précis et les composés à l’œuvre dans l’amélioration de l’état de santé des personnes atteintes de scorbut, avec la découverte de la vitamine C par un chercheur hongrois du nom d’Albert Szent-Györgyi, des centaines d’années plus tard.

Cette évaluation à posteriori  rendue possible par la science et la médecine d’aujourd’hui met en évidence la préoccupation qu’était le scorbut pour ces chercheurs de la première heure. La vitamine C est très hydrosoluble et comme l’humain est l’un des rares animaux qui ne la synthétise pas, il lui en faut un apport relativement élevé. De plus, comme il la recycle très médiocrement, la vitamine C est l’un des premiers nutriments à s’appauvrir dans l’organisme. Le scorbut a été l’une des premières maladies liées à une carence en nutriments dont les symptômes aient été manifestes.

Dans les années 1800, pendant que les Européens colonisaient l’Asie, les Caraïbes et les îles du Pacifique, bon nombre d’autres maladies liées à une carence en nutriments ont fait leur apparition. C’est la mise en commun des observations de divers médecins européens qui mettra en lumière le rôle de la nutrition dans la prévention des carences nutritionnelles. En fait, les marins, soldats, prisonniers et même les animaux de ferme soumis à un régime alimentaire homogène, restrictif ou limité couraient tous un risque de « maladie ». Il demeurait toutefois difficile de cerner la cause de ces maladies. L’époque a aussi influé sur la découverte des vitamines essentielles. La recherche sur les maladies liées à une carence nutritionnelle s’effectuait au moment même de la «révolution pasteurienne » où prédominait la théorie microbienne attribuant à des organismes microscopiques la cause de toutes les maladies. Les chercheurs menaient donc des expériences qui se révélaient souvent infructueuses.

C’est en 1890 qu’un médecin néerlandais a observé l’apparition d’un trouble neurologique appelé « béribéri » chez des poulets, selon qu’ils étaient nourris de riz blanc ou de riz complet. Cette découverte a permis de renforcer la notion voulant que les « composants des aliments » pouvaient être source de santé ou de maladie. Ainsi s’amorce au début des années 1900 une révolution scientifique qui se poursuivra jusqu’en 1941, au moment où allait être décrit l’acide folique, la plus récente vitamine essentielle qu’on ait découverte.

L’établissement de lignes directrices en matière d’alimentation

Tandis que la guerre et la dépression économique entraînaient le rationnement et la famine partout dans le monde au cours de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis décidaient d’établir des lignes directrices en matière de nutrition. C’est sans aucun doute pour renforcer l’effort de guerre que la United States National Defense Advisory Commission a confié le mandat à la United States National Academy of Sciences d’établir le United States National Research Council, chargé d’étudier le rôle de la nutrition à l’égard de la défense nationale. L’objectif consistait à préserver la santé des combattants et de la population civile, tout en orientant les secours outre-mer. Les premiers apports quotidiens recommandés (AQR) allaient être appliqués en 1941. Bien que ces lignes directrices alimentaires aient d’abord été établies par les États-Unis, de nombreux pays les ont adoptées d’emblée ou en ont fait leur propre version. L’AQR ou la nouvelle norme élargie de l’apport nutritionnel de référence (ANREF) sont mis à jour en moyenne tous les cinq à dix ans. Depuis leur entrée en vigueur, ces recommandations n’ont toutefois été mises à jour qu’à quelques reprises, ce qui nous amène à la situation d’aujourd’hui.

La réglementation gouvernementale : la prévention des troubles de carence nutritionnelle comparativement à une santé optimale

La découverte des vitamines essentielles et l’établissement des lignes directrices gouvernementales avaient comme dénominateur commun de « prévenir les maladies liées à une carence nutritionnelle et les complications causées par la malnutrition ». Conséquemment, la réglementation, les directives et les recommandations gouvernementales n’ont jamais envisagé des apports visant une « santé optimale». Pour que les organismes de réglementation fassent la transition entre l’apport nutritionnel minimal recommandé pour éviter les maladies liées à une carence nutritionnelle à un apport nutritionnel optimal favorisant la santé, des investissements importants et des approches expérimentales novatrices nécessaires. Pour que toute cette science profite au grand public, il faudra des recommandations nutritionnelles accessibles, compréhensibles, simples et, en un mot, personnalisées. Il est impensable de faire converger des objectifs apparemment si différents sans innover en matière de nutrition.

L’innovation appliquée à la nutrition

Un recherche intensifiée dans le domaine de la nutrition

Des réactions biochimiques internes permettent à l’organisme et aux cellules de fonctionner. Pour que ces réactions se produisent avec efficacité et d’une façon optimale, un certain nombre de nutriments et de cofacteurs sont nécessaires – en concentration adéquate, selon un juste équilibre et selon la forme appropriée. Jusqu’ici, le manque flagrant de recherche fondamentale en nutrition n’a pas permis de déterminer avec exactitude la « quantité optimale » quotidienne de nutriments que chacun devrait consommer. Par exemple, quelle serait l’apport optimisé permettant de maximiser la performance sportive et de vieillir en santé? Plus important encore, quelle quantité de nutriments chacun doit-il consommer chaque jour pour conserver sa santé le plus longtemps possible – autrement dit, pour prolonger sa « durée de vie en santé »?

Cette lacune dans la documentation scientifique est sans doute attribuable à deux facteurs importants. Il y a d’abord une insuffisance générale de financement dans le secteur de la nutrition, tant de la part des organismes gouvernementaux que du secteur privé. Des causes multifactorielles complexes expliquent sans doute le manque d’empressement des principaux organismes gouvernementaux à investir, mais quoi qu’il en soit, ils sont peu enclins à financer les études en nutrition comparativement à d’autres champs de recherche. Le coût très élevé des études cliniques à grande échelle et à long terme portant sur des sujets humains pèse lourd du côté du secteur privé.  À coup de millions de dollars par année, et ce, pendant 5, 10, 15, 20 ans et même plus dans certains cas, le financement des études cliniques devient prohibitif, même pour les entreprises les plus florissantes qui doivent les financer à même leurs revenus.

Ensuite, de nombreux scientifiques ont récemment remis en question le bien-fondé du modèle traditionnel de recherche scientifique de l’« essai randomisé avec groupe placebo » pour mener des études cliniques en nutrition. Ce type d’essai est valable dans l’industrie scientifique où les expériences sont menées sur des molécules qui ne se trouvent pas naturellement dans l’organisme. Comme de nombreux gouvernements interdisent de breveter des composés naturels, le secteur pharmaceutique doit mettre au point des molécules synthétiques pour que ses investissements dans la recherche soient protégés par des brevets. Par conséquent, les modes d’expérimentation dans ce secteur sont plus simples et permettent d’établir plus facilement un lien direct de cause à effet. Un nouveau médicament potentiel se trouve ou non chez l’humain ou encore, produit ou non un effet. En raison du caractère binaire de cette méthode, les études dans le secteur pharmaceutique sont plus économiques et il est plus facile d’en tirer des conclusions directes.

Il en va tout autrement dans le domaine de la nutrition. Lorsque des études cliniques similaires sont menées chez des humains, leur organisme comporte déjà une quantité de référence de nutriments à cause de leur consommation d’aliments. En fonction du régime alimentaire de chacun, ce facteur devient plus complexe, puisque chez certains, la quantité de nutriments précis est relativement élevée, tandis qu’elle est faible chez d’autres. Ce facteur n’est pourtant presque jamais pris en compte dans la conception d’études nutritionnelles, ce qui rend les modes d’expérimentation beaucoup moins simples. Ces quantités de référence divergentes accroissent le risque d’erreur pendant l’expérimentation. Plus le risque d’erreur est élevé, plus il devient difficile d’établir un lien direct de cause à effet entre l’intervention nutritionnelle et un effet précis sur la santé. Sans un concept d’expérimentation approprié, un nombre prodigieux de sujets d’étude et des analyses statistiques adéquates, cette différence marquée entre la recherche à caractère pharmaceutique et celle d’ordre nutritionnel explique souvent les résultats équivoques publiés dans la documentation scientifique.

Comme les nutriments ne fonctionnent pas isolément dans une voie biochimique ou métabolique désignée, la conception des études et l’interprétation des résultats en sont d’autant plus complexes. Dans toute voie métabolique à l’intérieur des cellules, un certain nombre de nutriments et cofacteurs facilitent les réactions biochimiques et métaboliques. Au mieux, on peut seulement espérer mesurer une amélioration de la santé en évaluant un nutriment donné dans un contexte où tous les autres sont requis dans une voie métabolique. En science biochimique et métabolique de la nutrition, une pratique exemplaire serait l’administration expérimentale de tous les nutriments dans une voie biochimique-métabolique donnée où un effet précis sur la santé est souhaité. Cette pratique va malheureusement à l’encontre de la « méthode scientifique » séculaire enseignée aux scientifiques.

Avec la méthode scientifique, une seule variable relative au groupe témoin ou placebo peut être changée. En pratique, cette approche ne fonctionne tout simplement pas pour les études portant sur la nutrition par rapport à la santé et la maladie. La pratique expérimentale en biochimie et métabolisme nutritionnels exigent l’administration de tous les nutriments connus dans une voie donnée pour espérer obtenir une amélioration de la santé. En plus d’être contraire à la méthode scientifique, cette pratique affaiblit l’interprétation de cause à effet des résultats et bon nombre de scientifiques dans ce champ d’étude en sont conscients. Règle générale, lorsque vient le temps de soumettre au gouvernement une demande de financement de travaux de recherche, toute conception expérimentale hors du cadre de la méthode scientifique est jugée médiocre et les fonds sont souvent refusés.

En résumé, pour permettre d’innover en matière de nutrition, une renaissance de la recherche fondamentale dans ce champ d’étude s’impose. À cette fin, il faut infléchir la conception dogmatique traditionnelle de l’expérimentation nutritionnelle. Il faut aussi établir de nouveaux paradigmes d’étude pour répondre aux questions que soulève la recherche en nutrition; c’est ce que s’appliquent à faire des scientifiques visionnaires dans le domaine de la biochimie et du métabolisme nutritionnels : découvrir des méthodologies hors du cadre de la méthode scientifique traditionnelle qui répondront aux questions soulevées par la recherche en nutrition. Ces scientifiques adoptent à l’égard de la science de la nutrition une approche non ciblée et sans hypothèse de départ. Il s’agit de procéder à diverses interventions nutritionnelles relativement à un groupe témoin, de mesurer les résultats d’ordre biochimique et métabolique, puis de reformuler les données en fonction des principes biochimiques et métaboliques connus. Bien que cette approche soit onéreuse et compliquée, en plus de nécessiter beaucoup de temps, elle permet aux scientifiques d’établir des liens étroits entre de multiples interventions nutritionnelles et leurs effets sur les voies biochimiques et métaboliques. En d’autres mots, ces chercheurs laissent les données obtenues établir les faits au lieu d’interpréter ces données en fonction d’hypothèses préconçues ou biaisées en raison d’une conception expérimentale déficiente. C’est vraisemblablement l’approche que devront adopter désormais les scientifiques dans le domaine de la nutrition.

En bout de ligne, l’innovation en science de la nutrition suppose un financement accru de la recherche, une remise à l’honneur de la recherche fondamentale en nutrition et des conceptions expérimentales améliorées et novatrices.

Nutriments et cofacteurs essentiels « dans certains cas » et non essentiels

Il est clair que pour survivre en santé, il nous faut des nutriments essentiels. Il y a aujourd’hui un intérêt croissant pour un aspect précis de la nutrition : les nutriments dits « essentiels à certaines conditions ».  Comme nous l’avons déjà vu, la découverte de la dernière vitamine essentielle (l’acide folique) remonte à 1941. Il y a bien eu quelques candidats potentiels au titre de nutriments essentiels encore méconnus, comme la pyrroloquinoline quinone (PQQ), l’ergothionéine et d’autres, mais la découverte d’une autre vitamine absolument essentielle est très peu probable. Cependant, une recherche intensifiée en nutrition pourrait vraisemblablement donner lieu à la caractérisation d’un nombre croissant de nutriments et cofacteurs essentiels comme « essentiels à certaines conditions », y compris des vitamines et minéraux essentiels.

Qu’en est-il de ces nutriments et cofacteurs « essentiels à certaines conditions »? Ils n’ont aucun lien direct avec des maladies liées à une carence nutritionnelle, contrairement à des nutriments essentiels directement liés à de telles maladies. Il s’agit ici de carences subcliniques sans symptômes visibles, mais dans lesquelles le métabolisme et le fonctionnement cellulaire sont compromis.

À divers stades de la vie, un nutriment ou cofacteur peut devenir essentiel à certaines conditions. Par exemple, on sait qu’en vieillissant, l’organisme absorbe moins bien les minéraux et certaines vitamines. On a aussi montré une baisse avec l’âge de la quantité de certains nutriments et cofacteurs non essentiels, comme l’acide lipoïque et la carnitine. Nous savons que pour maximiser la capacité de transport de l’oxygène et endurer le stress accru causé par les activités sportives et les soins aux enfants, le besoin en fer et autres nutriments tend à augmenter chez bon nombre d’athlètes et de femmes en âge de procréer. Nous savons aussi qu’à la suite d’une blessure grave, le taux de vitamine D s’affaisse. Autre fait connu, la plus grande partie de la masse osseuse  pour toute la durée de vie se forme avant l’âge de 20 ans et conséquemment, le besoin en minéraux – kilo pour kilo – est plus important chez l’enfant que chez l’adulte.

En matière de nutrition, il importe de mieux comprendre ces nutriments et cofacteurs non « essentiels » au sens strict du mot, mais susceptibles de contribuer à un fonctionnement subclinique et compromis des cellules, tissus ou organes. Il serait bon par ailleurs de décrire les nutriments et cofacteurs « essentiels à certaines conditions » susceptibles d’apporter d’autres bienfaits pour la santé grâce à une consommation accrue de suppléments. Une recherche plus poussée pour caractériser ces nutriments et cofacteurs « essentiels à certaines conditions » dans le but de mieux déterminer les apports nécessaires à des stades précis de la vie, constituerait une innovation importante dans le domaine de la nutrition.

La nutrition personnalisée

Selon les hypothèses de certains biologistes théoriciens, la probabilité qu’un être humain soit identique à un autre, à un moment précis et dans des circonstances données, est d’environ 1 : 400,000,000,000 (une sur 400 000 milliards). Ainsi, s’il existait  400 000 milliards d’habitants sur la planète, il pourrait y avoir un être humain en tous points identique à un autre. Comme la population de la Terre est de seulement sept milliards d’habitants, il est fortement improbable que deux personnes soient absolument identiques. Conséquemment, on peut aisément en déduire que chacun a des besoins nutritionnels qui lui sont propres.

D’un point de vue historique, les organismes gouvernementaux n’ont fait aucun cas de cette nuance. De nombreux organismes de réglementation ont émis des recommandations qui déterminent les besoins nutritionnels en fonction de vastes groupes de la population. On n’a tenu compte que tout récemment des besoins nutritionnels en fonction des « stades de la vie » : par exemple, l’âge, le tabagisme, la grossesse ou l’allaitement.

Pour que l’innovation en nutrition soit utile, il faut avant tout connaître les besoins nutritionnels de plus petites populations mieux définies – et en bout de ligne, ceux propres à chacun – afin d’accroître l’efficacité de la nutrition dans la promotion d’une santé optimale.

Ciblage cellulaire et moléculaire des nutriments

On sait depuis longtemps  que les cellules sont dotées d’un réseau de communication étendu : les voies de signalisation cellulaire. Celles-ci permettent aux cellules d’informer les autres – qu’elles soient voisines ou très éloignées – de ce qui se produit dans une cellule.

Ces voies de signalisation cellulaire ont pour unique tâche d’aider une cellule, un tissu ou un organe à s’adapter à son environnement et à y répondre. Comment? À l’aide de « capteurs moléculaires » (généralement des protéines) vivant à la fois à la surface et à l’intérieur de toutes les cellules. À l’instar d’une clé et d’une serrure, lorsque la bonne molécule (la clé) atteint le capteur approprié (la serrure), une voie de signalisation cellulaire s’ouvre et la communication débute. C’est un peu comme des dominos qui tombent à la chaîne. Un fois à l’œuvre, la voie de signalisation cellulaire produira un effet physiologique sur une cellule, un tissu ou un organe, ou peut-être même sur l’ensemble de l’organisme – soit en déclenchant des processus biologiques, soit en y mettant fin.

Certains nutriments agissent au niveau moléculaire afin de cibler des voies de signalisation cellulaire et procurer ainsi un bienfait pour la santé. Par exemple, les composés présents dans le chocolat noir et les pépins de raisin peuvent favoriser la santé cardiovasculaire. La caféine peut imiter l’adrénaline et renforcer la fonction cognitive en plus d’améliorer la performance sportive. On a montré que certains nutriments tirés des plantes (les phytonutriments) activent les processus naturels de détoxication de l’organisme, tandis que d’autres agissent comme des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). À cause de ces nutriments qui s’appliquent au niveau de la molécule à activer des voies de signalisation cellulaire, les scientifiques en nutrition misent maintenant sur le ciblage moléculaire de composés naturels à l’intérieur de la cellule pour produire des effets physiologiques précis, sains et efficaces.

Nous commençons à peine à découvrir quels nutriments – et à quel dose –  ciblent des voies de signalisation cellulaire précises afin d’apporter des bienfaits pour la santé, mais ce savoir préliminaire ouvre déjà la porte à l’innovation.

Une révolution en nutrition : le suffixe « omique »

Génomique (étude de l’ADN), protéomique (étude des protéines et enzymes), microbiomique (étude des microorganismes internes et externes) et métabolomique (étude du métabolisme). On doit au suffixe « omique » attaché aux noms de sous-domaines de la biologie une révolution très tendance en science, surtout en biologie.

La tendance aux champs d’étude « omiques » découle d’une notion en biologie appelée « biologie des systèmes » ou comment chacun des systèmes de l’organisme fonctionne pour faire de l’être vivant ce qu’il est. Cette compréhension de la biologie relève plus de l’informatique et de l’ingénierie, allant de l’étude du contenu de l’ADN et de ce qu’il explique d’une propension à un état de santé donné (génomique), à la transformation par les cellules d’un message de l’ADN en dispositif protéinique cellulaire (protéomique) et à l’interaction avec l’environnement ainsi qu’aux effets sur la physiologie humaine des microorganismes mutuels vivant à l’intérieur et à l’extérieur de l’être humain (microbiomique).

La biologie des systèmes promettait d’approfondir leur influence réciproque complexe afin de favoriser une meilleure compréhension de la complexité biologique. Ce champ d’étude n’a pas entièrement tenu sa promesse d’une approche moins réductive à l’égard de la biologie. En fait, comme de nombreux systèmes sont à l’œuvre dans la cellule, l’étude d’un système particulier (génomique, protéomique, microbiomique, etc.) ne donne aucune vue d’ensemble et n’explique pas davantage l’influence réciproque de ces systèmes. À partir de l’affirmation voulant que l’être humain ne soit rien d’autre sur le plan biologique qu’un contenant de réactions biochimiques lui conférant sa nature propre, une « approche systémique » promet enfin d’apporter un savoir utile susceptible de favoriser l’innovation en matière de nutrition : la métabolomique.

La promesse de la métabolomique

Comme nous l’expliquons plus haut, la métabolomique est l’étude de la biochimie de l’organisme tout entier. La métabolomique est prometteuse en ce qu’elle tient compte de plusieurs systèmes, sinon de tous, à l’œuvre dans la biologie des systèmes. D’une façon hiérarchisée, la métabolomique est le seul champ d’étude qui peut prendre en compte simultanément toutes les variables potentielles, indépendamment de l’ADN hérité des parents, de la transformation efficace de cet ADN en dispositif protéinique utile pour les cellules, des effets du microbiome sur la physiologie humaine ou des facteurs encore méconnus, comme l’absorption efficace des nutriments, le style de vie et l’environnement. Tous ces facteurs ont un effet direct ou indirect sur les réactions biochimiques cellulaires et la métabolomique les prend en compte.

La métabolomique est aussi prometteuse en raison de la connaissance de la biochimie cellulaire humaine datant d’un certain nombre d’années. À toutes fins utiles, la cartographie de toutes les voies métaboliques de l’organisme est complète, autant celle des voies et facteurs les plus importants que celle des plus petits et des « métabolites ». Une biochimie cellulaire aussi bien définie englobant les réactifs biochimiques, les intermédiaires métaboliques et l’ensemble des enzymes, cofacteurs, vitamines, minéraux, etc. nécessaires pour orienter cette biochimie, permet de savoir si le métabolisme fonctionne d’une façon optimale ou s’il est perturbé. Avec les milliers de milliards de réactions chimiques qui se produisent à tout moment dans l’organisme, nous obtenons un compte rendu à la seconde près du fonctionnement du métabolisme.

Cela étant dit, ce qui rend la métabolomique si prometteuse, c’est aussi ce qui en freine le progrès. En raison de sa complexité inhérente, de nombreux chercheurs hésitent à s’y consacrer. Pour avoir une vue d’ensemble complète et exacte du « métabolome » (ce qui constitue le métabolisme), il faudrait mesurer des centaines de milliers de métabolites simultanément, le plus souvent possible et selon de multiples scénarios. Évidemment, la complexité devient très rapidement exponentielle.

Par contre, la technologie dans ce domaine progresse à grands pas. Il est maintenant possible de mesurer de façon expérimentale des dizaines de milliers de métabolites, un nombre qui augmente presque au quotidien. À cet égard, seule la recherche métabolomique fondamentale demeure complexe. Dès qu’un portrait exact du métabolome à partir de divers scénarios de style de vie serait dressé, il serait possible d’utiliser quelques métabolites clés pour connaître le fonctionnement exact des cellules. En appliquant ce savoir à la nutrition, on pourrait déterminer avec exactitude ce que l’organisme doit ingérer pour optimiser le plus possible le fonctionnement des cellules. Quoi manger? Des glucides? Des protéines? Des lipides? À quel moment? Ai-je une carence nutritionnelle? Quels nutriments me faut-il? Quand et en quelle quantité? La métabolomique est prometteuse en raison de sa granularité, de sa spécificité et de ses résultats en temps réel.

Dans l’exemple du scorbut, (une maladie liée à une carence en vitamine C), il y a perte de dents, contusions répétées et décès généralement causé par un incident cardiovasculaire (anévrisme ou crise cardiaque). La vitamine C est essentielle à la synthèse du collagène – la « colle moléculaire » qui retient ensemble les cellules et les vaisseaux sanguins. Dans cet exemple, si la métabolomique permettait d’identifier le moment où sont compromis la synthèse du collagène ou tout autre métabolite sans lien apparent jusqu’ici et peut-être même sans aucun lien, il serait possible d’intervenir et de recommander le prise de vitamine C pour remettre en état cette voie métabolique. Il serait possible d’identifier ce préjudice métabolique bien avant l’apparition de symptômes cliniques ou d’effets négatifs de séquelles subcliniques sur la cellule. De façon similaire, il serait possible d’optimiser la production d’énergie, la synthèse musculaire, le fonctionnement cérébral et d’autres marqueurs de la maladie ou de la santé. Bref, la métabolomique permettrait l’optimisation de tout processus métabolique.

Une meilleure compréhension des fondements de la métabolomique et l’identification des métabolites clés à utiliser comme marqueurs d’un état nutritionnel optimal et de la santé constituent l’avant-dernière innovation souhaitable en matière de nutrition.

Appareils médicaux, moniteurs d’activité physique, alcootests et scanneurs optiques

Bon nombre d’appareils sur le marché permettent au consommateur de mesurer certains paramètres importants de la santé. Parmi les appareils médicaux déjà disponibles, on trouve des instruments qui mesurent certains de ces paramètres : tension artérielle, vitesse des ondes pulsatiles (pouls), poids, composition de l’organisme, taux de lipides sanguins, cholestérol, protéine C-réactive, température corporelle et glucose sanguin, pour n’en nommer que ceux-là.

En raison de son immense popularité, le moniteur d’activité physique représente aujourd’hui une industrie mondiale multimilliardaire. De toute évidence, il existe une demande pour des dispositifs capables de fournir des mesures de la santé en temps réel.  Les moniteurs les plus populaires affichent le nombre de pas, la distance, l’efficacité des mouvements de natation, la cadence et la force du coup de pédale, le rythme cardiaque, le nombre de calories éliminées et la qualité du sommeil.

Au cours des dernières années, on a pu assister à une renaissance de technologies non invasives utilisant des longueurs d’onde lumineuses précises pour examiner sans effraction du tissu humain certains paramètres de la santé : saturation de l’oxygène sanguin, pouls,  densité du pigment maculaire, santé cutanée et hydratation. On peut même analyser l’état de certains nutriments et antioxydants, tandis que le glucose sanguin devient le Saint Graal des grands de l’industrie pharmaceutique. Autre dispositif familier : l’alcootest servant à déterminer le taux d’alcool sanguin. On a trouvé un nouvel usage pour cet appareil de mesure des métabolites dans l’haleine : évaluer la santé métabolique et plus encore, les états maladifs.

L’industrie n’a pas réussi à concevoir un dispositif unique regroupant tous les paramètres ci-dessus et d’autres afin de donner un portrait détaillé de l’état de la santé. Le regroupement de ces paramètres et technologies en un seul appareil de mesure en temps réel de l’état de la nutrition et de la santé serait une innovation prodigieuse en matière de nutrition.

Couplage entre appareillage médical et données d’ordre nutritionnel, médical et métabolomique

La toute dernière innovation nécessaire en nutrition serait le couplage entre les dispositifs médicaux précités et les plus récentes découvertes scientifiques en matière de  nutrition, de médecine et de métabolomique. Les possibilités seraient infinies : un simple appareil médical au bout du doigt prélevant une goutte de sang ou la traversant d’un rayon lumineux, ou encore le fait de souffler dans un tube, et nous voilà avec une vue d’ensemble en temps réel du métabolisme (métabolome). Avec les données recueillies, il serait possible de recommander un nutriment en quantité trop faible dans l’organisme, un aliment à privilégier, ou encore l’exercice. Un tel dispositif assurerait pratiquement en temps réel le fonctionnement le plus efficace possible du métabolisme et de l’état biochimique. La performance sportive et l’état de santé en seraient optimisés. Mieux encore, la durée de vie en santé serait prolongée le plus longtemps possible.

Le couplage entre les découvertes de pointe en nutrition – en particulier dans le domaine de la métabolomique – et un dispositif médical non invasif donnant instantanément une vue d’ensemble de la santé métabolique, et par conséquent de l’état de santé général, constitue l’innovation par excellence en nutrition, celle qui aura un effet important sur la santé humaine.

Conclusion

La période entre 1850 et 1950 environ a marqué un tournant en matière de nutrition. Cette centaine d’années a façonné notre perception actuelle de la nutrition – un apport minimal de nutriments pour traiter les maladies liées à une carence nutritionnelle. Le critère dogmatique de l’apport minimal doit aujourd’hui céder le pas à celui d’un apport nutritionnel optimal favorisant une santé optimale. Pour innover d’une façon valable en matière de nutrition, il faut remettre à l’honneur la recherche fondamentale dans ce domaine et s’y investir, en particulier par l’étude du fonctionnement des nutriments au niveau moléculaire. Une fois mises au point de nouvelles méthodes scientifiques applicables à la nutrition, il faudra que la communauté scientifique les accepte et adopte une approche moins réductrice à l’égard de la recherche en nutrition au profit d’une approche davantage axée sur les systèmes ou l’ingénierie. La recherche devrait se concentrer en grande partie sur la métabolomique, l’approche systémique la plus prometteuse dans le domaine de la nutrition. L’application à la métabolomique de méthodologies novatrices, non réductrices, non ciblées et sans hypothèse de départ, permettra d’innover concrètement en matière de nutrition. Dès que nous arriverons à mieux comprendre les effets directs et indirects des nutriments sur le métabolisme, nous pourrons jumeler ce savoir avec les dispositifs médicaux en usage aujourd’hui, en plus d’en mettre au point de nouveaux. Ainsi, la recherche fondamentale fournira une information utilisable qui permettra au consommateur de poser des gestes conscients susceptibles de prolonger sa durée de vie en santé.

C’est ce que promet l’innovation en matière de nutrition.

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